Victor Tiollier Un acte de résistance spirituelle à Dachau

Compiègne - Dachau

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Page du journal de Victor

Séjour à Compiègne : 19 Juin - 1er Juillet

Chambre 4. Installation avec Giuseppe, sous-chef de chambre, comme second de Mr Villiers. Ravitaillement assez dur : 1 soupe et 1/3 de boule (ou 1/4 avec beurre ou fromage) 2 soupes le jeudi et le dimanche. Camp C à cause de cas de diphtérie Vain espoir de manquer le prochain départ Organisation de la chambre. Bonne équipe, sympathique malgré les disputes fréquentes. Conférence du Général Camille. Equipe de Savoyards. Messe quotidienne de l’abbé Gontandin. Dernière messe de Juillet avant le voyage tragique

2-5 Juillet. Voyage : Compiègne - Dachau

Départ du camp à 5h du matin, sous la pluie avec une boule et du saucisson, encadrés comme des bandits. Long stationnement : essai de groupement en vue de fuite. 100 dans un grand wagon à bestiaux (60) avec deux fenêtres ouvertes à moitié Chaleur torride dès le début. Tous debout : impossibilité de tous s’asseoir… Tonneau d’eau, 2 tinettes En route vers Soissons : essai de tous s’asseoir : compression intolérable. Chalons sur Marne vers midi. La chaleur devient étouffante. Vers 3h avant d’arrivée à Reims : situation tragique, on tombe dans les pommes, assaut de la fenêtre, on implore de l’eau et de l’air. A l’arrêt : eau. On ouvre les deux autres fenêtres. Dans le reste du train la situation est tragique. Refus des S.S. d’ouvrir les wagons : les gens deviennent fous et se battent entre eux, s’écrasent, s’étouffent. Dans notre wagon situation très dure jusque vers 10h du soir. Dans les autres wagons innombrables : 36, 45, 75 ,97 (bataille à coups de couteaux et bouteilles) Vers 4h du matin, essai d’évasion : trous dans les wagons, cris et bruits : le train stoppe, les Allemands arrivent : menacent, A demain. Réveil tragique dans les wagons de morts, Vitry, Mets-Sarrebourg. Vers le Rhin, Haguenau - Carlsbad (Marseillaise en quittant la France) Jolie vallée puis forêt Noire, Karlsruhe. Nouveau wagon : espoir de fuite par grilles du bas mais déconseillé parcequ’en Allemagne Pauvreté de la Souabe. Passage dans une gare de marchandises de Munich Arrivée à Dachau, inquiétude. En réalité, le camp n’est plus terrible (10 à 20.000 h.)

Mercredi 5 Juillet

Arrivée à Dachau vers 3h : débarquement. En procession interminable vers le camp : froideur de la population. Cité S.S., à droite. Rassemblement sur la place du camp (1.600.) Appel nominatif (classé I sans importance Groupe Thierry, Villiers et moi. Déshabillage total dans le pré. J’abandonne mon beau costume. Douche, tonsure et coups de pinceau ! Habillement : 1 caleçon 1 chemise et 1 veste (K.L.)

Souper, Bonne nuit au bloc 21.

Jeudi 6 Juillet : lever 4h 1/2 : appel, jus. Rassemblement sur grande place.

Vendredi Samedi 7-8 Juillet : Rassemblements innombrables et interminables pour la soupe, l’appel, grande pagaie, Masse humaine (1.000 hommes, dans notre étroite allée, soleil torride sans ombre. Toutes les régions de France, toutes les nations (Russes, Polonais, Tchèques...) Fatigues intestinales avec ravitaillement de Dufour et Du... Vie abrutissante.

Dimanche 9 Juillet - Réaction spirituelle. Tenir. Communion : amour... du Christ… dans notre dépouillement total pour fouille et pour vol.

Lundi 10, -Mardi 11, Mercredi 12 juillet - Toujours réveil à 4h 1/2. Journées interminables à ne rien faire. Marches et stations dans la cour minuscule où nous sommes 1.200. Grande pagaïe dans la distribution de la soupe (corvée, police.) Bombances excessives avec René et Mr Villiers (sardines, sucre, crème de marrons, pâtés.) Communion quotidienne, vie dans la vraie masse humaine prise de contact nécessaire. Pluie et boue, froid. Bombardements massifs de la région (Munich) feux roulants de la D.C.A.

Jeudi, Vendredi 14 juillet - Connaissance avec tout le service I.M.P. de Toulouse Fortoul, Fanet, Duberney.

Samedi, Dimanche 15, 16 - Messe et communion. Groupe scout de Paris. Groupe des Savoyards (Albertville), Nécessité d’un terrain de base commune. J’ai un tempérament essentiellement changeant, léger, "papillonneur", d’où nécessité dans ma vie d’une règle, d’une discipline à laquelle je serai tenu d’être fidèle. J’entreprends et abandonne vite. Je manque de lucidité d’esprit au départ, de ténacité dans l’exécution : Grand Séminaire quitté, Renée, pas d’amitié persévérante ici. Jésus nous a dit de l’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à lui, sans retour et pour tous les instants. Jésus ne nous pas dit de faire connaissance avec notre prochain, de lui causer, d’essayer d’en apprendre quelque chose. Jésus nous a dit de l’aimer de l’amour véritable, comme Lui nous aime, comme nous nous aimons nous-mêmes. "J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger". Etre fort, joyeux, confiant contre moi-même et contre l’ambiance abrutissante. Ce temps consacré uniquement à la charité, au service du prochain. Nécessité du travail par l’acquisition de connaissances intellectuelles, prise de connaissance claire et entière, puis assimilation ce qui nécessite effort, lutte et persévérance. Faire quelque chose pour les autres : travail individuel ou regrouper un mouvement (ex. : les routiers) "Le levain dans la pâte". L’apôtre est le semeur d’apôtres dans la masse. René, André, Pipo, chef chantier, les scouts de Paris, Simon, Valon, Chatelard, milieu I.M.P. (Fortoul, Fanet, Moreau, Alexis… Jeune communiste. L’essentiel du rôle du prêtre est le curé de paroisse (tact, ténacité, famille). Pour le Jésuite, c’est le professorat ou le prédicateur de retraites et ou de carêmes. Question d’aptitudes personnelles. Mais d’abord, présentement rayonner le Christ auprès de mes frères, leurs apporter l’affection vraie dont ils manquent. Savoir demander et savoir donner. Surtout ne pas rester dans mon coin.

Lundi 17 - J’aime les petites et bonnes gens, la simplicité, la confiance, le peuple de la paroisse. Travail, pauvreté, amour de Nazareth (Franciscaines de Terre sainte). Chemin de croix du "plus beau voyage". La preuve d’une véritable connaissance c’est de pouvoir ensuite exposer personnellement et complètement le sujet à d’autres personnes. A travers nous le courant de la science, de la vérité doit continuer, couler, passer sans cesse comme le courant de la charité. Travail intellectuel intense pour conversation utile et enrichissement des autres en vue du don aux autres. Sous cet angle, le travail intellectuel est charité.

Mercredi 19. - Bombardement intense de la région de 10H à 2h. On voit les véritables amis dans les difficultés. Aimer un ami c’est lui rester fidèle, l’aider surtout lorsqu’il est dans le pétrin au lieu de le laisser tomber. Bouquins, lectures. Connaître notre littérature française, c’est-à-dire lire les auteurs eux-mêmes : Châteaubriand (Mémoires d’outre-tombe, Itinéraire de Paris-Jérusalem.) Colette, Balzac. Lire intelligemment en réfléchissant, pour être capable d’imposer ou d’écrire sa lecture.

Vendredi 21. - Rassemblement manqué en vue d’un départ. Messes blanches quotidiennes.

Samedi 22 juillet.- Dès le matin, bruits de départ en commando. Dès 6h rassemblement. Départ sur la place et sous la pluie. Stationnement dans le froid et le vent. Changement expéditif et tenue zébrée. Pluie battante. Préparation du départ et paquets empilés dans la chambrée (quel cirque !) Soupe et casse-croûte. Enfin départ sous la pluie, dans la précipitation, en sabots, mes souliers à la ceinture et avec mon ballot de bagnard. Long rassemblement par lettre alphabétique. En route vers la route sans regret de quitter Dachau, confiant dans l’avenir. Installation dans wagons de voyageurs et départ assez rapide (5h) En route vers Munich, puis direction Augsbourg, Stuttgart. Séjour dans le filet avec René Thierry (Lulu). Partie de la nuit, dans le filet. Au petit jour, arrêt dans une gare inconnue et brusquement descente d’une partie du wagon, hésitation, puis descente.

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