Victor Tiollier Un acte de résistance spirituelle à Dachau

Neckarelz

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L’un des deux carnets utilisé par Victor pour son journal

Dimanche 23 juillet : Neckarelz. Convoi la route dans le frais matin. Joli pays vallonné et vert. Bonne impression de jardin verdoyant. Traversée du pays, petit bourg propre et riant. Arrivée devant une ancienne école, sortie de centaines de prisonniers. Impressions moins optimistes. Enfin rentrée dans la cour trempée : un vrai poulailler : les petites baraques, cabinet, lavabo. Tête des prisonniers. Rassemblement interminable sous la pluie, les pieds dans la boue. En fin distribution de la soupe, distribution de gamelles, visites de poux, des parties, sous la pluie glaciale. Triste dimanche d’ennui, de pluie, d’errement dans cette cour. Pas une prière, pas une messe dans cette foule presque inconnue (bloc 21 en majorité). Rassemblement le soir avec les travailleurs, appel et contre-appel ; on ne sait pas où nous loger. Enfin à 10h coucher dans la maison à 5 pour 2 lits (Villiers, René, Vallon, Commandant Veissières et moi). Assez bonne nuit.

Lundi 24 juillet - Réveil à 4h 1/2. Répartition du travail. Nous sommes l’équipe de nuit et, les autres, presque la majorité, partent au travail. Travail de pluche la journée mais pas de nourriture, parce que nourriture de nuit. Nous obtenons le casse-croûte de 9h, mais pas la soupe de midi. Véritable Tour de Babel : russes, polonais, allemands (le capo de pluches). Le soir départ à la mine : galeries formidables.

Nuit 24-25 - Nous sommes affectés au bâtiment. Piquage du plafond. Casse-croûte de misère. Vision d’enfer, véritable bagne, mépris absolu de la personne traités comme des bêtes au bâton et à la gifle. Rassemblement, salut. Seconde nuit au piquage. 3° et 4° aux briques. Bastonnades de Vallon et du Père .... Retour au petit jour, corvées et pluches, sommeil de 3 ou 4 h : vrai bagne, fatigue, peu de nourriture et surtout humiliation… mépris absolu (gifles, baguettes) Tous nos chefs sont des prisonniers de droit commun allemands. Samedi - Dimanche 30 - Incendie à la mine de l’huile : tête de nègre. Meilleur sommeil. Volonté très nette d’aboutir, de briser la volonté, l’intelligence, par tous les moyens. Pas de vie, de laisser-aller, de cafard mais un acte de volonté personnel par jour. Être le levain chrétien dans la pâte par la prière et la charité. Réagir, vouloir.

Règlement de vie

Le soir : Entre 6 et 7 h : Prière du matin. Offrande départ - Messe 1 résolution pour la nuit. Le matin : Au retour : prière du matin et offrande - Action de grâces - Examen de conscience. La nuit : Chapelet Le soir : entre 4 et 5 h : Lecture spirituelle

Vendredi 25 Août 1944 : Je porte sur moi la Ste Réserve toute la nuit et le lendemain sous mon oreiller (1ers chrétiens, Tarcissius) Le soir, confession, communion. Bonne nuit à la pompe (pas d’eau 6 français et le petit russe) Pour la 1ère fois Mr Villiers est resté au camp pour faire les pluches. Ferventes prières à St-Louis pour la France qui est en train d’être libérée et nous sommes là. Toujours grosse chaleur : dans le pays, moisson et regain. Samedi 26 Août : Nuit à l’eau, gros travail jusqu’à minuit, calme ensuite. Réveil brutal sur le matin : gifles à René. En avant, puis en retard au départ. Excellentes nouvelles : Troyes, Chaumont, Paris (Discours de de Gaulle). Bordeaux. Accident du Père de la Perraudière.

Dimanche 27 Août : Malgré difficultés et coups, grand espoir sur la solution prochaine. Très mauvaise nourriture (concombre, choux, pain, margarine) : dysenterie.

Lundi, Mardi, 28, 29 : Bonne nuit à la mine, à l’eau. Terrible rincée en allant à la mine. Connaissance avec Madoule (Castres, Toulouse) et le docteur R. (Colmar). Mr Villiers nous a quittés définitivement. Optimisme et bon moral. Communion, charité plus grande, spécialement au travail : plus d’entrain et d’entr’aide. Meilleure entente avec les Russes, plus de respect.

Mercredi 30 Août : Bonne nuit toujours à l’eau. Corvée de pluches jusqu’à 11h, patates, épinards, concombres, radis. Nourriture suffisante. Après 10 jours de grosse chaleur, le temps est couvert et se rafraîchit. Anniversaire d’André. Patience assez dure : la fin certaine ne semble pas encore prochaine. Pris dans le mécanisme abrutissant de la vie : difficultés d’un règlement spirituel. Être le Christ auprès des autres. Me conduire comme un véritable prêtre. Chant, Prière. Apporter le Christ, rayonner le Christ et donc l’avoir intensément. Jeudi 31 Août : Temps pluvieux et froid. Heureusement bon sommeil après nuit calme à la pompe : le "commando Vasseur" (5 français seulement après minuit.) Bon état physique, grâce aux oignons peut-être.

Vendredi 1er Septembre : Nuit excellente à la pompe que l’on fait marcher toutes les 2h.

Samedi 2 : Nuit à charger les camions, assez calme, travail nouveau. Pluie. Excellente nouvelle : entrée en Belgique, Belfort. Conversation avec le Docteur Romerer. Perdu contact avec le Père de la Perraudière depuis 2 jours.

Dimanche 3 septembre : Accident à la mine dans l’après-midi : chute du plafond. Excellente soupe de pâtes. Malheureux de manger de sales radis et des carottes rouges crues. Nuit à la digestion lourde (St-Sacrement.)

Lundi 4 septembre : Sommeil de plomb. Le soir au réveil j’ai 390. Le docteur me dispense du travail. Le soir je retrouve Mr Villiers. Nuit de sueur et de dysenterie.

Mardi 5 septembre : Aux pluches jusqu’à 9h. Pas de fièvre, mais très mal en point, froid. Coucher jusqu’au soir. Assez bonne forme : grande toilette. Nuit calme à la mine. Très peu d’appétit : à la pompe.

Mercredi 6 septembre - Pas de sommeil : rêve. Etat de faiblesse, aucun appétit. Grande soif, langue affreuse.

Toujours à la pompe. Nuit très calme. On sent un peu de relâchement. Les bonnes nouvelles arrivent chaque jour : Bruxelles, Anvers, Rotterdam, Aix-la-Chapelle.

Jeudi 7 septembre : Toujours nuit calme. Dans la journée, peu de sommeil. État gastrique encore mauvais. Sang à la selle.

Vendredi 8 septembre : Nativité de la Vierge. Journée de désinfection : couvertures, paillasses, vêtements. Coucher dans la "cage aux lapins" de 11h à 3h. Puis tondeuse, bain, piqûre contre typhus. Nouvelle disposition de la chambre. Couché en bas entre René et le Commandant. Le soir, je ne vois pas le Père. Journée bien païenne en cette fête de la Sainte Vierge. Cependant, prières ferventes pour la fin de toutes ces misères, pour notre libération, pour la France, pour toute la famille. La vie monotone continue, la lassitude grandit, l’abrutissement gagne la tiédeur envahit ma vie chrétienne (communions bien pauvres.) Mais le moral reste excellent parceque l’on sent la fin proche, très proche peut-être.

Samedi 9 septembre : Magnifique journée d’automne. Bon sommeil. La bonne santé et l’appétit reviennent. Bonne nuit toujours à la pompe. Relâchement sensible. Dimanche 10 septembre : Journée de repos. Tous (plus de 1.000) dans cette cour microscopique. Sommeil de 8h à 11h ½. Distribution générale d’une bonne soupe. Puis longue après-midi avec Mr Villiers : le travail, les événements, le temps entre l’armistice et la libération, les problèmes d’après-guerre, la reconstruction de la France. Le soir "fête gymnique et musicale" ! Conversations avec Mr Vigouroux et le prof. d’anglais, Mr Sirvan (Châteauroux). M Sordet. Le soir : oignons, radis, concombres, pain, soupe. J’ai le Saint Sacrement apporté par Mr Villiers du camp de prisonniers militaires. Nuit empilée dans la chambre avec l’équipe de jour, sommeil et mal aux reins.

Samedi 11 septembre : Le matin, avec René, nous sommes de corvée à la cuisine des chleus grosse faveur. Un peu plus de propreté. Nous pelons des patates cuites toute la matinée. A midi, salade de patates et soupe. A 2H réveil en fanfare. Soit-disant distribution d’effets et de souliers ! Rien, mes pauvres souliers bas devront terminer la campagne. Pas de nouvelle depuis 3 jours. On s’attend à une décision cette semaine ou beaucoup plus tard. Hier et avant-hier, nuée d’avions et alerte toutes les nuits.

Mardi 12 septembre : Saint Nom de Marie Bonne nuit. De jour, bon sommeil. Toujours temps splendide. Pas de nouvelle. Attente.

Mercredi, Jeudi, 13, 14 septembre : l’eau monte beaucoup et il faut commencer à voyager toute la nuit. Pas de nouvelles. Patience.

Vendredi 15 septembre : N-D des Sept Douleurs. Ardente prière ces jours, pour la paix, à Marie. Espoir pour la fin du mois. Bataille sur la ligne Siegfried (Pendaison du pauvre lieutenant Brunet)

Samedi 16 septembre : l’eau est à niveau le plus haut. Grand cirque perdu au milieu des russes. Grande course toute la nuit. Toujours pas de nouvelle : Aix confirmé, Cologne, Strasbourg (?)

Dimanche - Lundi-Mardi : 17, 18, 19 : Calme -plat : pas de nouvelles certaines. Essen, Coblentz.) Certains indices de défaite : division S.S. au repos. Grand espoir de fin prochaine, mais serait-ce encore une utopie ? Très mauvaises nouvelles de Cochet, dysenterie tuberculeuse. Triste. L’eau est toujours haute : on nous adjoint des types de Neckargerack (F et R.) Hier, grâce à l’essence, nuit calme et seule. Temps magnifique : ah, la France ! l’Idylle, Papa - Maman ! Bon moral : effort de domination, de l’ énervement égoïste, amitié personnelle du Christ Jésus.

Mercredi 20 septembre - L’une des plus belle nuits du "commando Vasseur". De 1h 30 à 5h 30 au pas de course, vidage de toute l’eau, à 6 équipes sous les ordres du Sergent de Neckargerack. Moral d’acier : sourire, chants et à la fin mise en boîte des deux civils et du M. Grande victoire morale. Sommeil de plomb pendant une journée magnifique.

Jeudi 21 septembre : Saint Mathieu De l’eau plus que jamais, mais travail assez calme grâce à la pompe qui marche toute la nuit. Premier passage de patates à travers une fouille maison. Pluie. Mitraillage d’un train à l’entrée. Sources spirituelles. Communion bâclée. Le jour, fervente prière à l’Apôtre évangélique Etre décidé, savoir ce que l’on veut et foncer, agir sans recul. Ceux qui hésitent, qui tremblent, qui reculent, sont vaincus d’avance. René et les patates à côté de moi. De même vouloir conquérir mes camarades au Christ. Ne pas être un distributeur d’eau bénite, ne pas attendre l’occasion, mais la provoquer, attaquer, conquérir. Parler du Christ et de son amour pour les hommes.

Vendredi 22 septembre : Nuit calme : installation d’une pompe électrique. Sommeil coupé d’éveils pour avoir des patates : 2° plat maison. Pas de nouvelles, un peu de dépression. L’échéance recule. Cependant ferme espoir dans le mois du Rosaire.

Samedi, Dimanche, Lundi, 23-24-25 : Dernière nuit du "Commando Vasseur". Pompe électrique. Tranchées nouvelles vers le réservoir. Coups de trique par le Capo de Didge en poussant les wagonnets. Longue conversation avec Kémeri (divorce, famille, souci d’apostolat), mais je n’ose pas encore parler du Christ à un non-pratiquant.

Mardi 26, mercredi 27 - Travail aux pelles "Cirque du Négus » à 5h 30. Conversation avec Mr Masset, chef de service à la Préfecture de Châteauroux

Jeudi 28 - Grande offensive déclenchée, espoir. Gros raids : alertes jour et nuit. Séance du Négus à l’égard des Français, à minuit rassemblement. Hier : 1 coup de poing, 1 gifle - Aujourd’hui 2 gifles. Un peu de soleil : toilette bienfaisante. J’ai toujours le Christ en personne avec moi. La nuit dans ma poche, le jour sous ma tête : présence trop oubliée, pas assez respectée. Je communie tous les jours, mais ne donne la communion à personne hélas… Qu’y-a-t-il de constructif, de positif chaque jour dans ma vie ? Tendance à passer ma vie dans le rêve égoïste, une rose à la main, alors qu’il y a tant de souffrances, tant tant de problèmes autour de moi.

Vendredi 29 - St Michel, Patron de la France. Nuit très calme : le Négus et la « Bête noire » sont malades.

Samedi 30 - Dernière nuit à la mine et avec le Négus. Travail mais causeries avec nombreux civils : soupe, casse-croûte au foie gras du Périgord de René Camberon, lettre à Jean.

Dimanche 1er octobre - Journée de repos. Nous sommes désignés pour passer de jour avec tout le "Barbertung". Couché toute la journée, malgré tout. Tranquillité relative et inattendue. Conversation avec Mr Masset. Satisfactions de donner plusieurs communions.

Lundi 2 octobre : Sts Anges Gardiens. Nouveau travail de jour à Neckarbihopheim à 40 km de Neckaretz : longue attente empilés dans le train et surtout travail intensif sous la direction de vieux Todt vraiment fous (cris, coups). Déchargement de tout un train de plaques et poteaux en ciment. Retour à la grosse nuit vers 7h. Triste impression. Grand cirque le soir pour coucher.

Mardi 3 oct. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Nous nous faufilons à Mosbach avec René et le Commandant. Bon chantier à percer des galeries abris mais avec un fou comme capo : le "Gorille". Vie agitée sans aucune réflexion et pensées reposées. Regret de la mine de nuit. Longues pensées vers le Séminaire qui doit être rentré et dont c’est la fête. Alertes et raids de chasseurs très nombreux sur la région. Toujours pas de nouvelles. L’abrutissement gagne. Pensé aux vendanges à Cruet.

Mercredi 4 oct. - Saint François d’Assise. René et moi nous sommes enlevés de Mosbach pour travailler de nuit de nouveau à Mosbach (?) Journée de désinfection à la chambre 2. Le matin on fait cuire des patates au four. Le soir court repos. L’aventure continue. De grandes nouvelles fusent (???) : Cologne, discours Churchill. Grande espérance en ce mois du Rosaire (Fatima). Ayez pitié de votre peuple, Seigneur, il n’en peut plus.

Jeudi 5 oct. - Nuit terrible à la bétonnerie à l’entrée de la mine sur le bord du Neckar. 14h (5h l/2 à 7h l/2) de travail de suite (1/4 d’h. à minuit) à remplir des wagonnets de sable sans le moindre arrêt : 300 tonnes de béton dans la nuit, dit-on, 1 200 sacs de ciment. Véritable enfer… mouillés jusqu’à la peau (averse du soir),… cris sans arrêt et coups du capo et du civil. Complètement éreinté mais bon moral. Le jour sommeil de plomb. Réveil à 3 h ½. appréhension.

Vendredi 6 oct. Après départ avec l’autre équipe de nuit, nous restons à la mine jusqu’à 10h. Avec René et 5 autres nous avons la chance inouïe d’y rester jusqu’au jour pendant que les autres redescendent à la bétonnerie. Avant minuit, briques... Après, marteau piqueur à la chambre 16. A minuit grand calme. Retour à l’heure normale (6h).

Samedi 7 oct. Saint Rosaire. Nouvelle nuit à la bétonnerie. Malgré nos efforts pour rester à la mine le chef de chambre nous fait repasser à l’équipe de Mosbach. Jusque vers 11h, travail dur mais supportable (pas de cris, repos entre les wagonnets). Après véritable enfer : dépression morale et physique, cris coups redoublés, exaspération. Les plus durs moments de ma vie jusque là. Les chleus sont vraiment des barbares et les capos des fous. Travail sans arrêt à la pelle pendant 14 h. (10 minutes à 1 h pour manger 10 par 10). Offrande de ces souffrances pour la paix et la fraternité des hommes. Retour exténué.

Dimanche 8 oct. Sommeil de plomb jusqu’à minuit. Réveil, rassemblement pour passer à l’équipe de jour. Avec René nous réussissons à passer de nuit. Le soir pénible départ à la mine. Nous sommes mis à l’équipe de la grande mine avec le Commandant, Hermann et Nesclas comme capo. Nous sommes une quarantaine de Français. Travail au marteau piqueur à la galerie 16. Le matin je suis moulu.

Lundi 9 oct. Bon repos. La nuit, lent travail au béton. De jour repos. Lutte contre l’abrutissement grandissant : fatigue spirituelle et intellectuelle.

Mardi 10 oct. Nuit à construire la voûte en briques au-dessus des cuisines... Travail assez évocateur (cathédrales) et surtout très calme (sommeil après minuit). Première nuit de René au compresseur où il est machiniste (planque royale). Nous avons touché dimanche de magnifiques sabots neufs.

Mercredi 11 oct. Nuit à la voûte toujours. Prière à N. D. en la fête de sa Maternité.

Jeudi 12 oct. Finition de la voûte clé. Travail lent. Abrutissement grandissant. Saleté écoeurante.

Vendredi 13 oct. Anniversaire des apparitions de Fatima. Souci envahissant de manger (Vallon, civil de la mine). Travail au déblaiement. Egoïsme en fait de manger : Seigneur aidez-moi à me détacher, à ne compter que sur vous. Nous sommes pauvres matériellement mais combien plus spirituellement. Lutte contre la « Vie de Jésus » de Renan. Regain d’espoir malgré l’absence de nouvelles. Persuasion d’être rentré à Noël. Troisième tonsure et bonne toilette. Bon repos.

Samedi 14 oct. Sommeil coupé de visites de Vallon et de soupe. Après, nuit à la voûte. Mort accidentelle de Rolland (Crémieu).

Dimanche 15 Oct. Toujours la même vie. Confiance en l’avenir, mais vie terre à terre, unique souci de manger : soupe civile, René à la cuisine chleu. Vallon.

Lundi 16 - Travail à la voûte toujours. Mr Villiers revient de nuit comme gardien des souffleries : égoïsme écoeurant, livres, nourriture, vêtement. Lutte désespérante contre la saleté du corps et des vêtements (poux). Apprendre à agir vite, avec décision, au lieu de chercher mes aises et avoir toujours le temps.

Mardi, mercredi 17-18 Travail à la mine. Rien à signaler. Nuit très dur au béton.

Jeudi 19 Oct. 5e mois d’arrestation. J’ai 38°5 ce matin : le docteur me met au repos. Bon sommeil toute la journée et toute la nuit. Formidable passage d’avions à midi. Vendredi 20 Oct. Je passe à l’équipe de déblaiement. Alerte presque toute la nuit. Sommeil coupé de cauchemars. Soupes civiles avec René. Lassitude, patience, c’est dur de tenir. "Mon Dieu où êtes-vous ?"

Dimanche 22 Oct. Journée de repos. Mauvais état physique : la grippe se porte sur estomac et sur intestins. Aucun appétit : faiblesse, travail tout de même.

Mardi 24 Oct. : Saint-Raphaël. Grande lassitude et fatigue. Sulfate de soude ce matin. Toujours pas de nouvelles. Combien de temps encore.

25-31 Oct. : Période très dure : grande fatigue, pas d’appétit, grippe, maux d’estomac. Moral très secoué. Le commandant tombe malade : typhus. Nuit dehors au ciment, aux briques, puis aux cuisines. René a perdu sa place au compresseur. Grosse émotion : nouvelles de Jean : nuit de Lundi à Mardi.

Mardi 31 Oct. Etat physique meilleur. Il faut tenir.

1er Novembre : Toussaint. Journée très quelconque, païenne, triste. Toilette des pieds à la tête, froid. A peine le temps de songer, de réfléchir. « Bienheureux les pauvres », « Bienheureux ceux qui souffrent ». Seigneur ayez pitié de nous. Oncle Victor, Jean, Grand-mère, rendez-moi à Papa et Maman qui doivent être si inquiets.

2 Novembre. Jour des morts. Journée de désinfection : 1 h de sommeil. Ces 2 jours passent totalement inaperçus en Allemagne : pays de barbares. Au camp le typhus continue ses ravages : 3 morts aujourd’hui.

3-10 Novembre. Le typhus est à peu près enrayé. Toujours pas de nouvelles. Grandes concentrations. Grand espoir pour ce mois. Ravitaillement difficile mais grande aide de Vallon pour l’infirmerie et par le commandant, très faible. Travail à la grande mine assez tranquille : 2 nuits au 16 avec le marteau piqueur, puis déblaiement. Il n’y a plus de maçon de nuit. Très mauvais temps : pluie, froid. Patience, courage, mais vie très matérielle et abrutie. Cependant lutte contre l’égoïsme forcené. « Homo homini lupus ». L’homme est bien bas lorsqu’il a faim et qu’il souffre.

Jeudi 16 Novembre. L’offensive de Lorraine se développe lentement. Prise probable de Sarrebruck. On entend le canon. Temps affreux : pluie, neige, froid. J’ai tout de même touché un chandail. Dimanche dernier repos (sommeil de plomb.) Connaissance d’un prêtre d’Arras à la mine. Grande faim : réduits à la ration : on mange radis, navets, poireaux crus pour tromper la faim. Toujours même travail à la grande mine. Patience, bon moral.

Vendredi 17. Grande nuit de grâce, nourriture, confession à l’abbé Drouvin. Bonnes nouvelles : l’offensive s’étend en Lorraine - tenaille en direction de l’Alsace, Hollande et Belgique. Le sacrement de pénitence est ce qu’il y a de plus grand au point de vue psychologique dans une vie d’homme : la suppression, l’oubli total d’actes coupables dont nous sommes responsables. Manifestation de l’Amour de Dieu. Grand soulagement, nouveau départ vers une vie généreuse avec l’aide de la Ste Vierge. Prise de conscience du caractère méritoire de notre vie souffrante, au profit de la grande famille de l’Eglise. Cadeaux de l’abbé : gants, Evangile de St Luc, savon. Il y a des moments durs, mais Dieu est d’une bonté infinie. La religion, l’ordre voulu par Jésus s’impose parce qu’il est vrai et le seul vrai. Mais il ne s’impose que par l’Amour. Il faut l’aimer dans la réalité dans le sacrifice pour entrer au service du Règne, lorsqu’on y est appelé.

Dimanche 19 Novembre. Espérance malgré le froid et la faim. En face du travail forcé : Résistance, Passivité, ou Activité : juste milieu. Immense souffrance morale de se sentir sous la menace de coups, sans aucune raison, d’être traité comme une bête. Souvenirs : L’empereur, le roi, le « petit bleu ».

Jeudi 23 Novembre. Excellentes nouvelles : l’offensive paraît déclenchée à fond : les Français ont atteint et passé le Rhin dans la région de Mulhouse. Grande bataille en Hollande, Belgique. Après tant de 2 mois d’attente et parfois de désespoir, nous commençons à revivre malgré le froid et la pluie incessante. La Providence nous favorise au point de vue nourriture : rab de Vallon, infirmerie, soupe civile. Danger d’obsession de la soupe. Temps affreux : il pleut tous les jours. Grand espoir de fin avant Noël. Lecture des Actes des Actes des Apôtres.

Vendredi 24 Novembre - Dieu comble ceux qui s’abandonnent à Lui. Il y a des moments de nuit, de tunnel, d’abandon apparent où il faut marcher en aveugle avec confiance. Mais il y en a d’autres où l’on se sent comblé de bienfaits comme ces jours : soupe civile, sabots neufs, livres et fortifiants pour Ct par Maxime. Actions de grâce constante pour ce Père si bon. Ses dons spirituels sont encore bien plus immenses. Excellentes nouvelles : Strasbourg et même Khel. Bientôt peut-être.

Samedi 25 Nov. Aujourd’hui, en revenant des cabinets, je rencontre sur la porte de l’Ecole… qui ?... Henri Chenu venu avec les Vosgiens. Emotion : nous causons longtemps des causes de notre arrestation. Se retrouver à Neckaretz… Cette rencontre ressuscite en moi le passé et me rend la nostalgie d’une vie raisonnable et libre. A quel degré d’abrutissement en suis-je ?

Dimanche 26 Nov. Dernier après la Pentecôte : fin de l’année liturgique. Fatigue intestinale. Plus de nouvelles du front : serait-ce un nouvel emballement ? « Organisation » et resquillage à la mine.

Mercredi 29 Nov. Les événements marchent, mais lentement en Sarre et en Alsace. Froid. A la mine cadeaux bienfaisants de l’abbé Drouvin : évangiles, gâteries. Rosaire vivant : avant tout : prières et offrandes de nos souffrances... Accrochage des camarades par petits cadeaux, services. Mais il faut pousser, avoir de l’audace, conduire jusqu’au Xst. Savoir ce que l’on a à faire. Respect de la dignité humaine. Notre plus grande souffrance : être traités comme des bêtes. Fatigue assez grande et surtout sommeil. Arrivée au camp d’évacués russes de Dantzig.

Jeudi 30 Novembre - St André – Cruet - mon frère !...

1er Décembre - N’oublions pas nos bienfaiteurs en ces jours durs : Vallon (Lyon) Paul Camberou Abbé Drouvin Maxime Villiers.

Dimanche 3 Jour de repos. Le camp se dépeuple et devient un… : beaucoup passent au camp 2. Compression dans la chambre 2.

8 Décembre - Il y a 5 ans aujourd’hui je prenais la soutane.

Dimanche 10 Décembre Journée de déveine. En revenant de la mine le matin, nous sommes passés de jour à 10, puis embarqués au camp 2 avec René, Poulie, Gomire et Mille. Nous passons la journée sous la neige à décharger choux et carottes. Logés dans de vraies cages à lapins : 100 types par chambre, pas d’eau, couverts de poux, on entre dans les lits en rampant : quelque chose d’indescriptible.

Lundi 11 Décem.  : A 30, nous formons le commando de 0llbridge qui va travailler dehors à la petite mine à Neckargerach. 1ère journée très dure : sous la neige et la pluie, on va chercher des sapins dans la montagne. Retour le soir à la baraque, sans aucune possibilité de se sécher, surtout les pieds. Cependant dans notre pucier, sommeil avec René. Les jours suivants, transport de panneaux de baraques, les pieds dans la boue. Travail assez pénible mais court. Bon air. Un peu de ravitaillement par Mr Villiers. Ferme espoir en des jours meilleurs. Confiance en la protection du Père et de la Sainte Vierge. Nous ne connaissons pas notre bonheur à la grande mine et à l’école. Nous retrouvons beaucoup de camarades de Neckargerack : Moreau.

Mardi 19 Décembre : Commando Wagner, toujours dehors au sable sur bord du Neckar. Froid de canard, travail tranquille mais pénible.

Samedi 23 : Nous travaillons à un terrassement près de l’entrée de la grande mine. Froid terrible : je ne puis me réchauffer en travaillant à cause d’un coup reçu au coude (près de la cuisine civile). Véritable supplice le matin, après-midi meilleure : alerte, va et vient dans la mine. Mais le soir j’ai 39° de fièvre.

Dimanche 24 Xbre Jour de repos : bonne nuit, lever tardif, couchés une partie de la journée avec René malgré la promiscuité de la chambre. Le soir, supplément au souper ; en fait de réveillon, pain, margarine, salade russe au vinaigre, pâtes et goulaches, cidre. Le tout distribué dans un désordre indescriptible. Ensuite orgie des tziganes allemands tard dans la nuit, atmosphère de roulotte et de bas-fond. Veille une grande partie de la nuit, misère physique immense (René assommé par la fièvre, couvertures…) Longue évasion vers la France, vers Cruet, Papa, Maman, la Messe de minuit, le G.S. [Grand séminaire], la cathédrale de Chambéry. Mais joie pure de la fête du jour : un enfant, un Sauveur attendu depuis longtemps, nous est né aujourd’hui. Ecrasé par notre misère surtout morale, notre égoïsme forcené, notre orgueil tenace accourons à Lui comme les bergers. Adhérons à Lui totalement comme le véritable ami et apprenons tous à connaître ce seul Sauveur. Jésus, celui de la crèche, de la Croix, de l’Eucharistie. « Jésus, recevez-moi aujourd’hui tout entier »

Samedi 25 Décembre : NOËL

Communion intime dans la nuit, sur le matin. Réveil dans la crainte d’un départ de travail : nous sommes privilégiés d’en être préservés. Toujours un temps magnifique. Solitude morale immense, pauvreté et saleté en ce jour de fête. Humble prière de supplication à l’Enfant et à Marie qui nous le présente, en union avec toute la famille parce que Noël ne doit pas être bien gai et avec toute la Grande Eglise. Paganismes des Noëls allemands, des sapins partout, des banderoles, des lampions, mais c’est tout. Jamais plus dans ma vie je ne devrai oublier qu’il y a des malheureux tout près de moi : des gens qui ont atrocement froid comme moi samedi, d’autres qui ont faim, qui ont soif (désir d’un verre d’eau chaude ou froide). C’est en s’occupant du corps de l’homme qu’on atteint son âme. Si on se laisse faire (…) trop passif, vite on est débordé.

26 Xbre 3ème journée de repos consécutive. René malade est mis au Shonnang.

27-31 Xbre Seul avec Pouly au commando et dans la chambre où la situation s’améliore un peu. Bonne fin d’année : journée tranquille et tiède malgré la neige. Pain, bière, soupe civile. Ainsi s’achève l’année 1944, année terrible, mais grande année de grâces aussi...

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